Question Cardinale

Anonymous, 1649


L’Autheur

I'Alois n’agueres réuant aux intrigues de ce temps dans vne

allée des Thuilleries, lors que ie vis venir à moy deux hom-

mes fort eschauffez en apparence pour lesubjet d’vne dispute.

Ie crus d’abord que quelque coup de partie les auoit mis en

cette chaleur, & qu’ils me venoient prendre pour iuge de ce

differend, mais le compliment qu’vn des deux me fit à sa mode en m’a-

bordant me fit bien connoistre qu’il ne s’agissoit aucunentent du ieu, &

que cette question estoit beaucoup plus releuée ; l’vn estoit Suisse & l’autre

Hollandois, à qui la langue Françoise n’estoit pas beaucoup familiee, ce

qui les fasoit parler d'vne grotesque façon, mais a fin de n'oster rien de la

grace de leur discours, iay jugé qu'il seroit à propos de les introduire l'vn

apres l'autre, comme en vne Comedie, ou ie seray mon personnage lors

qu'il sera necessaire. Voicy donc comme le Seigneur Hollandois me fit son

cõmpliment, en m'ostant le chapeau & me faisant la reuerence à la Flamande

L'Holandois

Sarueteu Man-seur, vou m'excuse bienne che dmand pardonne à vou

vou porte bienne & moy, iàure fait vn gajur contre son visage de Souiss

ie voudre bienne si voul veulle vienne voul entretenir vn bon grand petit

demy heur, vou fra faueur à moyre & grand mercy à vou

L’autheur

Messieurs, tres volontiers, mais ie ne scay pas vostre different, si vous

voulez me faire la fauer de me le dire, ie tascheray de vous en donner

mon aduis.

L'Holandois

A vouye à vouye Man-seur, vou Braue homme moy vien vous le dire

vou scaure don vn fois, que moy temeur al faubourg S. Semini à ceticy

qui prend cetila & ce Man-seur le Souisse al préau Crer, Ie ne scaure pa

A toul diable, i’aure fait rencontre de son visage, il madit, Pon chour

moy bon Suisse voul tu paye chopinte de vin pouru, jai dit que ie le vou

dre bienne, & che lemene au ca beret ou nout aure trinque cun que de bon vin

Le Suisse

Non, par me foye, Monsou, pas pon, mai ie scàure vn pon pusque me-

lieure, al seigne du petit Carçonne d'archant, vez-vis la Croye qu'il tire

L’autheur

Nous ne sommes pas sur ceſte queſtion, elle seroit bien facile à vuider

parlons d’affaire, & puis nous parlerons de boire

L'Holandois

Vous àure vn bon raisonne, o bienne Man-seur nous aure bu vn pintre

Iuy & moye, & pui encor vn chopinte, & i’aure demande à luy pour le

diuertisseman de mon personne, si il ne scàure point de neuelle, & si le

Parlemane àure fait le paix contre l’Majesté du Roye, & de Mondame son

mere, il madit qu’il aure ouy dire par son foye que l’Depté l’àure conclu

& l’àuresené, i àure demande la dessu sil Cardenal s’en voudre allé hor

del France à toul diable, il ma dit que nonne, & qu’il veulle reuindre dan

I’Ville de Peris, & qu’il sera Duc li per, i’aure dit que moy ne voudre poin

croire cela, l’camerade Souisse dit qu’il sçàure bienne, moy di que roune

il iure qui le vray, voultu gacher que nonne, voultu gacher que si, telle

mane que i’àure gaché vn pistalle contre son visaige, ie voudre bienne

sçauoire si i’àure gaigné.

Le Suisse

Moye, Monsou, moye par mon foye pon camarade Souiss vou baille pi-

stolle à moye, & moy paye broc.

L’autheur

Cela ne vas si vite, il faut vn peu que i’entende vos ralsons auparauant

ie vous prie ne vous broüillez point, & puis que vous vous en rapportez a

moy ie tascheray de vous iuger dans l’equité.

Le Suisse.

Ho par mon foye moy n’endre point tant de raisonue, moy parle ponne

Souisse, mai de Franços nit f_rdore, qu’il chaze tant quel foudre, luy

mai moy prend l’archant.

L’autheur

Tout beau tout beau, Monsieur, quoy que vous ne parliez pas bon

François, ie m’accommodera bien toutefois à vostre langage; il ne faut

pas estre si prompt, si vous auez gaigré vous aurez la gageure; mais il faut

comme i’ay dit entendre vos raiſons, & puisque Montieur l’Holandois a

commencé le diſcours, ie ſuis d’auis qu’il le continuë, & vous direz ensuit-

e à vostre tour ce que vous aurez à dire,

Le Suisse

Pienne don depesche fou fiteman car i’haure grant haste moye

L'Holandois.

Vous n’aure point vn bon discretion, vou voye Man-seur qu’il pren

le pene d’entendre nou, & fou, ne voul point entendre raison vn foi

L’autheur

Enfin donc à ce que ie puis iuger par vos discours, vostre queſtion es,

L'Holandois.

Del Cardenat Maxrin,

L’autheur

Et vous gagez vous

L'Holandois.

Que luy ne reuiendre point en Peris.

L’autheur

Et vous qu’auez-vous gagé.

Le Suisse

Vn bon pistolle par mon foye qui falle dix liures.

L’autheur

Ce n’est pas ce que ie vous demande, ie veux sçauoir; surquoy vous

auez gagé.

Le Suisse

Su le taple tu Capret.

L’autheur.

Aye ie veus dire ſur quel suiet, sur quel propos.

Le Suisse.

O ie cõprenne pien fou foudre sçauoir, si i’àure dit fouy ou nonne, i’àure

ga ché que son Minance fientra l’autre temin à Pris, & quel sera Tuc li per.

L’autheur.

C’eſt assez, ie sçay maintenant le suiet de vostre gageure, parlés mainte-

nant, Monsieur le Holandois, & dites les raisons qui vous ont fait gager

& qui vous asseurent d’auoir gaigné, car il faut necessairement que vous

soyez bien informé de cette nouuelle.

L'Holandois.

A Vouye iel panſe bienne ma foye, ie le scàure d’vn bon part, ie l’àure

apris d’vne sarueteur, qui frisse le moustache à Man-sieur l’Ambessadeur de

Hollante, qui àure veu vn lettre dans l’poche de sonne maiſtre.

L’autheur

Et quel estoit le contenu de cette lettre, parloit elle du Cardinal Ma-

zarin.

L'Holandois.

Oy par m_ foye, il m___ à Man. sieur le Prence d’Oranche, que le Par-

Iemane àure point voulu faire le Paix, si le Cardenal ne fait fourte en son

pay qu à toul Diable, & qu’on ne voudre point qu’il temeure dan Pris,

ny dans le France, & que le Depté l’ont obtenu vn fois du Roye, & que

monta me son mere, Man-sieur Duc Torlian, & le Prince de Conté l’àure

sené, scellé & bredé, n’eſt-ce pa la vn bon raifon qu’àure vous à dire came-

rade Souiss,

Le Suisse.

O dastitretonde vous mocque pienne de moy, ie scàure pienne d’autre

nouelle, fou parle t’Ampasseteur, mai moy parle tu Roye & tu Tepeté tu

Parlimane, i’àure sceu de son pouche quan iy fou à Fontaine li pleau, nonne

nonne moy tromp moye; ie foutre tire à sen Charmene, i’aure vu toul

cour, li Roye, el Prince, el Cartenal, el Tepeté, al'conne firance, ou

i’Aure pu de pon fin al velache de Rouelle.

L’autheur.

Vous ne parlez que de boire, mais dites moy quant fustes vous à S. Ger-

main & à Ruel.

Le Suisse.

L'autre temain Monsou ie scàure poenne tire le chour Timance ie croye

>

han refin cheuty matin, apres l’tené, i’àure vn pon paire t’armoire, ie fou-

dre tire ma moire, croye moye Monsou, & baille le psſtole moy mettre tout

à poire.

L’autheur.

Mais que disoit-on à S. Germain, quand vous y fuſtes.

Le Suisse.

Party par mon foye i’aure vu le camerade de li bon frere, & trinque tant

que toul diable.

L’autheur.

Eſt cela que vous auez apris les nouuelles de la Paix.

Le Suisse.

O dasthicote ferluche, qui àure de bel chinau si ns'est li Roye el colin-

tampon, ne fa tel poene touchou al coste du petite Carçonne.

L’autheur.

Et bien donc dictes-moy ce que vous apristes, & ce que vous vistes.

Le Suisse.

Fort pienne attendre tone vn petitelon tan, ie scàure pu ce que ie foudre

tire.

L'Holandois.

Baille à luy vne petit bout de chantelle, Man-ſieur

Le Suisse.

Sacrelotte moy ne trouple poene toye, che ne foutre point que tu in-

trompe moye, lasse moye tire autre man poenne de camerade.

L’autheur.

Il a raison, il vous a laissé dire, & vous le deuez entendre parler, apre-

nez nous donc ce que vous auez veu en ces cartiers ie vous prie, & retour-

nous à Mazarin.

Le Suisse.

Luy cros & cras se porte pienne par mon foye, il fait tancé l’petite Car-

çonne su sa chenou, il parle à son mere cõme moy parle vou, & trinque à

Prence com sonne camerade, iàure vu les reticles del Paix: Son Sacratoi

re aporty son acratoire, & il creua sa nom vn fois en bas tu Tuc torliane

& l’àure mis vn reticle quil chante quil faut reboutre en son charche,

quil tefienne à Pris pour estre Tuc liper, fou temante li plutos al Souisse de

son porte, si che n’aure pas trinque aue li dans son peti mason, ou chaure

manché vne petit chaponne qui letet bonne ma foye.

L'Holandois.

He com toul grande Diable reuiendre ty à Peris, si le Parlemane àure

fait sa procez, & l'àure condené il viendre donc pour faire en regé Peris,

Le Suisse.

Et si le Roye ny son mere ne foudre poenne, ne faute pas que li Parli-

mane face son folonté, aure til pas ſa Conseil & le Channesely, ny boute li

pas son placque de cire, il dure ly mesme contené li Parliman par son Decla-

rationne.

L'Holandois.

Sacramente quan ly Roye fu vn foye grande comme moye, bonneien-

tendre bien, mais le Parlemane eſt titeur de son Masſté, quan luy petit

garçonne.

Le Suisse.

He pienne sil Parlimane foutre pienne chanché son soulonté, naure-t’il

pas le poufoir de casse son liraiste.

L'Holandois.

Nonne nonne faut bienne que li garde son Iustice.

Le Suisse.

Mais si fous àure esté condené à pendre vou par le Parlimanc, ly Roye ne

scàure point tire moy tonne le viatoye.

L’autheur.

Cela se fait rarement, si ce n’eſt qu’il y ait quelque mal heur dans le cri-

me commis, & cela s’appelle grace ou remission, & suppose necessairement

criminel celuy qui la reçoit; mais ie croy que Mazarin ne se veut pas re-

soudre à paſſer par là, & que ce n’eſt pas son intention.

L'Holandois.

Il souuienne à moye d’vn bon raiſon, comme le Cardenal reuiendre ?

Peris vn foye, il nàure point de lit pour couche soye, nàure ton point

vendu tou sa meuble, fautre donc quil couche sul terre,

Le Suisse.

Dasti tretonde, ho le bon fieux raisonne, ne scaure til pas pienne en trou-

ue vne tanl. Plais Cartenal ou ne poufe ti poenne en cheté vne pour son

Larchant.

L'Holandois.

Ie scàure encor vn bon pusque meil'ieure, Man-seur de Beaufort tou

Geniral de l’Armée del ville de Peris voudre til bienne quel Cardenal re-

uiendre pour le enferme éncor vne foye danl Bastille.

Le Suisse.

Quil poiffe ensemple comme pon camerade, party par mon foye quand

chàure vn crel aucc li bon frer hardos, ie scàure poenne vn pu pon inuen-

tionne pour accorder moye, que de trinque à son santé tant que toul

Diaple.

L’autheur

L’inuention n’est pas mauuaiſe s’ils estoient de vostre humeur, il nemet-

troient gueres à faire la Paix ; mais enfin n’auez vous plus rien a dire pour

vos raiſons l’vn l’autre.

Le Suisse.

Nonne, mais ie ſcàure bien que moy caigne le cachur, que son Minan-

ce refiendre à Pris l’autre hyer.

L’autheur.

Et vous que dites-vous à cela.

L'Holandois.

Moy dit que nonne Man-seur, ie scàure bienne qui noze point par mon

foye qu’on ne le voudre point souffre dans Peris, pource que la tou-

chou le Monpoleur à son suitte, qui aure ruine tout el France, quil àure

esté condené par le Parlimane de Peris, par le Parlimane de Rouan de

Bretaigne, de Prouennece, qui voudre poin faire de pardon à luy: Vou

iuge Man-seur si ie naure pas vn pu bon raison quel camerade Souiſſe.

L’autheur

Or sus donc puisque vous vous en rapportez à moy, demeurerez-vous

d'accord de mon iugement.

Le Suisse.

Oy monsou party fou prafe, homme fou tonne le pistolle al moye.

L'Holandois.

Lasse dire à Man-seur camerade, il a vn bon iumant, il voye bienne quil

àure raiſon de vou de moye.

L’autheur.

DECISION.

Bien que cette queſtion soit tres-embarassee, que selon les premiers

articles de la Paix, monsieur le Suisse auroit gaigné la gageure, comme ils

ont toutefois esté reuoquez, que le Parlement, nos Generaux, gene

ralement toute la Ville de Paris, n’en ont point voulu demeurer d’accord.

I'apparence la raison donne gain de cause à Monsieur l’Holandois; mais

comme on ne peut rien asseurer que nos Deputez ne soient de retour, ie

vous conſeille à tous deux, en attendant de ne laisser point moisir cet ar-

gent, de faire bonne chere sur tant-moins de la gageure:que si com-

me ie croy le Cardinal ne reuenant point, il se trouue que Monſieur le

Suiſſe ayt perdu la piſtolle, il n’y a pas vn François qui ne le recompense

de bon cœur de cette perte, à raiſon qu’ils auront en perdant Mazarin, fait

Ie plus grand gain acquis le plus grand bon-heur qu’ils sçauroient es

perer.

Ce iugement les renuoya tous deux si satisfaits, qu’ils penserent deschi

tet mon manteau pour m’entraisner au cabaret, ie m’en excusay toutefois

mieux qu’il me fut possible, ne pouuant me tenir de rire des plaisans

complimens, qu’ils faisoient pour m'inuiter a cette desbauche.